Dans le cercle des poètes disparus, M. Keating (interprété par R. Williams), après avoir cité une perle d'une copie d'un élève, dit "on ne rit pas de vous, mais avec vous". C'est l'esprit de ce blog. Professeur depuis 2005, j'ai pu collecter, au gré de mes différents établissements et rencontres, des perles d'élèves. Cela va du petit grain de quartz à la pépite la plus pure. Mises en image brutes, décontextualisées, mais conservées en l'état, elles sont telles la vérité vraies d'une réalité bien réelle.
On n'est pas là pour se moquer des élèves, mais pour qu'ils rient avec nous de leurs "bêtises" involontaires.
Si le métier de prof n'est plus ce qu'il était, les cours gardent encore leurs instants qui en font de drôles de cours...

samedi 26 mai 2018

Un bon mot

" Bonjour !
- Bonjour Monsieur." 


D'après Freud, les lapsus font partie de nos nombreux actes manqués. Ce serait la libération d'une pensée, ou d'une croyance inacceptable. Dans le langage populaire, le mot lapsus est alors souvent suivi du qualificatif révélateur.

D'après moi, la plupart du temps, les élèves ne font pas de lapsus. C'est juste qu'ils n'ont pas "le bon mot".
Ce sont souvent des paronymes, c'est à dire des mots qui se ressemblent phonétiquement mais qui ont des sens bien distincts.
Il arrive que ce soit des homonymes, ou tout simplement des inventions de leur cru à partir d'une racine rarement absurde.
Apprentissage approximatif ? Glissement de sens ? Néologisme ? Évolution naturelle positive ou négative de la langue ? 

En mathématiques, beaucoup d'erreurs proviennent d'un manque de maîtrise de la langue.

On peut se poser la question de la maîtrise de la langue en étudiant deux paramètres :
1. la richesse du vocabulaire ;
2. la compréhension de la polysémie (le fait que les mots ont plusieurs sens, et qu'il faut choisir le bon sens suivant le contexte).
(On peut aussi étudier le niveau de lecture, la maîtrise de la ponctuation, de l'orthographe, de la syntaxe, de la grammaire, etc. Mais je me limite à ces deux points.)

Pour ces deux points, je n'ai aucune idée du "est-ce de mieux en mieux ? ou de pire en pire ?".

De mon point de vue, qui est très très limité, j'insiste là-dessus : j'ai l'impression, et c'est mon ressenti (bon, ça va, j'ai pris assez de pincettes ?) que les jeunes, globalement, lisent moins qu'avant (le développement de la VOD, du streaming, du free gaming y sont-ils pour quelque chose ?). J'ai mémoire d'avoir lu un article qui disait que la lecture redevenait "in", mais il était bien le seul qui allait dans ce sens.

Je trouve surtout qu'ils écrivent moins qu'avant.
Je ne parle pas du papier/crayon qui n'est quasiment utilisé plus qu'à l'école, (combien de professionnels n'écrivent plus que quelques mots par jours avec un crayon, moi y compris ? Mais ce n'est pas si grave, à mon avis, c'est juste une adaptation.) mais juste d'écrire avec n'importe quoi (crayon, clavier ou calame) des phrases complètes (sujet + verbe + complément, oups, pardon, sujet + prédicat) !
Et v'là les "phrases" qu'on peut lire dans les copies ou les cahiers ! En seconde, première, terminale, des phrases sans verbe, des mots juxtaposés qui n'ont rien à voir, sans parler de l'orthographe (d'ailleurs, il faudra un jour que je rédige un billet sur l'épidémie de dyslexie qui se propage souvent à l'âge du bac de français).


En mathématiques, beaucoup de mots sont des mots du langage courant pour lesquels on introduit un nouveau sens, un sens mathématique (par exemple : inverser, vecteur, dérivé, etc.). Le sens mathématique est souvent assez proche du sens littéraire, et d'ailleurs c'est souvent pour cette raison que c'est ce nom là qui a été donné à cette notion.
Il arrive que la science mathématique invente un mot nouveau, mais une étude très sommaire de l'étymologie permet d'en comprendre le sens (par exemple : factoriser, polynôme, orthogonal, etc.), sauf que l'étymologie est liée elle-aussi à l'orthographe !
Orthographe, sens, compréhension...
Tout se recoupe, tout est connecté, science mathématique, science littéraire, sciences...

Années après années, je suis surpris de devoir donner de plus en plus souvent le sens littéraire des mots rencontrés. Difficile donc, pour les élèves, de se raccrocher à une expérience personnelle, chose connue pour favoriser les apprentissages, et en particulier la mémorisation.
Je le répète, je n'ai aucune idée du "est-ce de mieux en mieux ? ou de pire en pire ?", mais je commence à pencher d'un côté, plus que de l'autre.


Mais assez parlé, voici quelques exemples illustratifs :



On appréciera ci-dessus la prosonomasie.

Pour information, l'arpent est une unité de mesure des longueurs et surfaces agraires, qui a donné le mot "arpentage" (mesurer une superficie) et "arpenteur" (qui voyage de plan en plan dans le multivers de Magic, the Gathering). Il parait que des québecois et une partie de la Louisiane utilisent encore cette unité, ce qui est une preuve que ces terres auraient dû rester française. Quoique, garder des gens avec un accent de merde... Déjà qu'on a pas réussi à refourguer les chtis à la Belgique.

Définition : un cercle circonscrit à un polygone est un cercle passant par tous les sommes de ce polygone. Dans un triangle, le centre du cercle circonscrit est le point de concours des médiatrices. Avoue, lecteur, que tu n'avais plus entendu cette phrase depuis la quatrième, mais que tu t'en souviens encore (maintenant que tu viens de la lire).



Ma femme me dit souvent que j'ai un bout de vertu coincée entre les dents.

Les Inconnus l'avaient déjà faite dans les années 80, mais cette élève ne le savait pas. Comme on dit en sciences, c'est une découverte indépendante. Tout comme Leibniz et Newton ont découvert le calcul infinitésimal (Fermat y a aussi participé, mais on l'oublie souvent).


Tapez "hypodrologie" dans Google, et vous verrez à quel point ce mot, qui semble plausible, est tordu... Tiens, cela me fait penser à la machine à inventer des mots.

Je ne veux pas savoir d'où vient ce lapsus, mais je serais tenté de dire que c'est révélateur de ce qu'il y a dans sa tête. (Oui, vous pouvez huer pour celle-ci.) (Cet élève était en réalité un super élève, très ouvert, qui a ensuite intégré une prépa BL.)


A ce jour, malgré le concours de la NSA et des plus grands cryptanalystes du monde,
personne ne sait quel mot a été remplacé.



Au moins, elle aura prévenu...


P.B.