Dans le cercle des poètes disparus, M. Keating (interprété par R. Williams), après avoir cité une perle d'une copie d'un élève, dit "on ne rit pas de vous, mais avec vous". C'est l'esprit de ce blog. Professeur depuis 2005, j'ai pu collecter, au gré de mes différents établissements et rencontres, des perles d'élèves. Cela va du petit grain de quartz à la pépite la plus pure. Mises en image brutes, décontextualisées, mais conservées en l'état, elles sont telles la vérité vraies d'une réalité bien réelle.
On n'est pas là pour se moquer des élèves, mais pour qu'ils rient avec nous de leurs "bêtises" involontaires.
Si le métier de prof n'est plus ce qu'il était, les cours gardent encore leurs instants qui en font de drôles de cours...

jeudi 22 mars 2018

Sans filtre

" Bonjour !
- Bonjour Monsieur." 

Comme tous les profs qui n'ont pas de "bons plans" en début de carrière (un papa recteur, un faux-pacs, une nationalité corse (pour les corses, c'est une blague hein, j'suis pas fou non plus)),...
... je suis passé par la région parisienne.
C'était ça... ou la somme, ou les quartiers chauds de Marseille, ou la Guyane. Bref, entre les consanguins, les cagoles ou les moustiques, j'ai choisi les délinquants. (Alors, toi, le troll qui s'empresse déjà d'aller mettre un commentaire rageux pour crier au scandale, sache que c'est de l'humour de bas niveau basé sur des clichés faciles. Ce n'est pas à prendre au premier degré. Surtout qu'à Marseille, il n'y a pas que des cagoles, y'a aussi des alcooliques, comme en Picardie.)

Quitte à être dans un drôle d'endroit pour y dispenser de drôles de cours, autant choisir. Enfin, avoir l'illusion d'un choix, parce que nos choix se limitent à exprimer des vœux. C'est un peu comme si au restaurant, le serveur disait "vous avez fait votre choix ? -oui, en entrée, je vais prendre la salade de chèvre, ou du potage, ou un tartare de saumon, ou un œuf cocotte." et qu'au final, c'est le cuistot qui décide ce que vous allez manger (en général, il a fait un club sandwich avec le reste de pain de mie de la veille).

Étant originaire du Poitou-Charentes, j'ai demandé l'académie de Versailles, à l'ouest, plutôt que celle de Créteil. Et histoire d'avoir une chance d'être dans un lycée, j'ai demandé ces seuls trois lycées : celui de Mantes-la-Jolie, celui de Trappes et celui des Mureaux. Le tiercé gagnant.

Alors, on dit beaucoup de choses sur la banlieue, surtout certaines chaînes dites "d'information", et surtout celles qui peuvent tourner en boucle 24/7 sur 2 cm de neige qui tombent sur la route un jour d'hiver.
Beaucoup sont fausses... car en deçà de la réalité.

Un mois de banlieue, c'est l'équivalent de deux ans d'IUFM (maintenant, il faut dire ESPE), de même qu'un jour de débarquement le 6 juin, c'est six mois de classe.
Quelques stat' :
- 80% de classes défavorisées ou très défavorisées, et 20% de classes moyennes. Le mot CSP+ est un mythe.
- 35% de contractuels, mais au final, pas mal d'habitués. Ils sont mal payés, vivent dans le stress d'être repris (ils l'apprennent la veille de la rentrée), et sont plutôt compétents.
- 30% de turn-over tous les ans. On en voit passer des nouvelles têtes, et de toute la France.
- 3 arrêts de travail à l'année dès la première semaine, plus quelques démissions.

- 2 suicides.

Voilà, c'est gai ?


Oui, c'est gai.
Oui, c'est des moment très difficiles.
Mais oui, c'est aussi de très sympas instants de vie.

Comme j'aime à le dire :
"la banlieue, mes pires souvenirs - la banlieue, mes meilleurs souvenirs".

Je reparlerai des profs de banlieue dans un autre article. Ici, parlons des élèves.
Un des aspects agréables, c'est leur manque de retenue, de filtre.
Si parfois, cela leur joue de vilains tours, cela apporte aussi une fraicheur rare dans des lycées plus "conformes" de province.
Spontanéité, honnêteté, absence de surmoi, tout ça donne de drôles de cours.



Certains considèrent, à tort, le mot "swag" comme un acronyme (Secretly We Are Gay, Something What Africans Get, etc.). Les acronymes proposés sont souvent des rétro-acronymes (cest-à-dire inventés après l'apparition du mot). L'étymologie du mot est très ancienne (XIIIe ou XIVe siècle), malgré une démocratisation chez les adolescents et dans le langage populaire plutôt récente. Le mot "swag" serait un anglicisme issu du scandinave "svagga" qui veut dire "se balancer de façon instable, hésiter".


Oui, parfois, les profs, nous sommes vraiment des salauds sans aucun respect pour le sommeil. Doit-on le réveiller, ou doit-il finir sa courte nuit passée sur son MOBA favori ? A partir de quel volume sonore des ronflements peut-on le considérer comme dérangeant ? Quelle taille d'oreiller est acceptable ? La taie est-elle obligatoire pour des raisons d'hygiène ? Le règlement intérieur reste très flou. Tant de questions pour lesquelles il n'est pas évident de trancher sans blesser "le jeune".

Oui, bien sûr, puis un high-five aussi. Mieux, je vais dans un coin de la salle en enlevant ma chemise, puis vous me sautez dessus, je danse, je dabbe, puis je vais saluer l'entraineur.

Bon, à laquelle des deux collègues d'espagnol vais-je aller raconter cette anecdote ?

Dexter, sors de ma salle.

Ou comment un bon sentiment se transforme en une belle casse involontaire...




En tant qu'élève, j'étais peu attaché aux marques (à part pour mes chaussures Doc Martin que j'ai portées quatre années en continu et qui vivent encore dans un placard chez mes parents dans un état plutôt correct. Un message de Manu Larcenet, l'excellent auteur de BD, indiquait que la qualité d'aujourd'hui n'est plus ce qu'elle était.). Mais il faut croire que je faisais partie des exceptions, et que l'attrait pour les marques restera une constante de l'humanité.

cf. commentaire ci-dessus.

"Merci pour cet accueil. Je viens de la province, peuplée de bouseux qui n'ont pas de téléphone (ou alors un vieux Motorola, cf. ci-dessus). Dans ta banlieue, je découvre une technologie avancée, une société civilisée et une culture très élevée." Ceci est ce que dirait un cynique susceptible. En réalité, dans le propos de cette élève, aucun mépris, juste une naïveté innocente.


Personnellement, c'est la première et unique fois que j'entends le mot "disquette" dans ce contexte. C'est un mot, d'ailleurs, que je n'avais plus entendu depuis la disparition des disquettes 3,5'' d'une capacité de stockage de 1,44 Mo et qui ont disparu du marché vers 2011, soit deux ans avec cette citation d'élève.



Il faut savoir que "truquer" est l'équivalent banlieusard de "schtroumpfer" avec la nuance suivante : pour les schtroumpfs, l'intention est assez évidente, pour les jeunes, débrouille toi comme tu peux pour mettre le verbe idoine (il faut prendre en compte le regard de l'élève, le regard des autres élèves sur l'élève qui fait la demande, le regard de l'élève qui fait la demande quand il jette un regard vers ceux qui le regardent faire la demande, l'heure de la journée et la température ambiante).


Je crois que celui-ci n'a pas encore remarqué mes origines asiatiques...



Un qui a remarqué mes origines asiatiques (cf. trois au-dessus), mais qui hésite entre les différentes nationalités chinoises.

Comme quoi, la notion d'"insulte" est vraiment très relative. D'ailleurs, les différents niveaux de registre dans l'éducation méritent bien un billet à eux tous seuls. Peut-être un jour...





P.B.